5.

 

 

La nouvelle de la mort d'Edda Lou s'était propagée comme un feu de broussailles, soulevant maints commentaires dans les fermes et sur la place de la ville, ainsi que tout le long de Market Street jusqu'à Hog Maw Road, où Happy Fuller causait de l'événement avec sa chère amie et partenaire de bingo, Birdie Shays.

— Henry ne voulait pas en parler, déclara Birdie en s'éventant avec un prospectus de l'Eglise de la Rédemption. Burke Truesdale l'a appelé vers 2 heures en se dirigeant vers la maison des McNair, et Henry l'a suivi, pour n'en revenir que trois heures plus tard.

Le regard furieux du Jésus imprimé sur le prospectus se brouillait sous l'effet de ses rapides coups de poignet.

— Il est rentré à la maison en nage, livide, pour m'annoncer qu'Edda Lou Hatinger était morte, et me demander d'annuler tous ses rendez-vous de l'après-midi. M'a dit qu'elle avait été tuée comme Arnette et Francie, et après il n'a plus pipé mot.

— Le Seigneur nous protège ! s'exclama Happy.

Le regard perdu au-delà de son pimpant jardinet, elle jouissait du courant d'air soulevé par l'éventail de Birdie.

— Mais où va-t-on si une femme n'est même plus en sûreté dans les rues?

— Je suis passée au café avant de venir, reprit Birdie.

Elle eut un hochement de tête entendu. Sa chevelure laquée, qu'Earleen Renfrew teignait toutes les six semaines de Bombshell Beige, demeura aussi stable et ferme qu'un casque, accrochée aux tempes par deux boucles rigides en forme de points d'interrogation.

— J'ai entendu dire que Burke avait fait appel au FBI, et peut-être même à la Garde nationale.

Happy émit alors un drôle de son qui tenait à la fois du reniflement et du grognement.

Elle adorait Birdie, vraiment, mais cela ne la rendait pas aveugle sur ses défauts. Son amie souffrait de quelque crédulité — travers à peine moins grave que la paresse sur sa liste personnelle des dix péchés capitaux.

— Nous avons sur les bras un tueur fou, pas une émeute, Birdie. A mon avis, ce n'est pas demain la veille que nous verrons des soldats défiler dans Market Street. Quant aux fédéraux, il n'est pas impossible qu'ils viennent, et je m'attends même à ce qu'ils convoquent mon garçon pour qu'il leur raconte comment il a découvert cette pauvre Arnette en février dernier.

Son avenant visage se rida sous l'effet de la perplexité. Elle n'avait toujours pas pardonné à Bobby Lee d'avoir séché l'école — et d'avoir failli redoubler encore une fois, le gredin —, mais elle eût de mauvaise grâce décliné l'honneur d'être la maman de celui qui avait trouvé le premier corps.

— C'est depuis ce temps-là que Bobby Lee traîne cette espèce de mélancolie, reprit Birdie. Eh quoi, ça se lit dans ses yeux. Tiens, pas plus tôt que ce matin, il était en train de me faire le plein chez Sonny, et je me disais que ce pauvre Bobby Lee ne serait plus jamais le même.

— L'a eu des cauchemars pendant des semaines, renchérit Happy avec un bien maigre soupçon de fierté.

— Rien de plus naturel. Henry lui-même en avait pratiquement le cœur brisé. Crois-moi, Happy, tout cela est inquiétant. Eh quoi, c'aurait pu être ma chère petite Carolanne — non qu'elle aille courir le guilledou, quand elle a à s'occuper de son mari et de ses deux enfants. Mais c'est inquiétant tout de même. Et puis tiens, il y a ta petite Darleen, elle qui était si amie avec Edda. Je te le dis, je peux à peine y penser.

— Va falloir que j'appelle Darleen, que je sache au moins comment elle s'en sort, déclara Happy avec un soupir.

Quoiqu'elle eût éprouvé un grand soulagement à voir Darleen épouser Junior Talbot et s'installer en ville avec lui et leur dernier-né, elle n'ignorait pas que sa fille était actuellement reprise par ses vieux démons.

— Nous allons devoir réunir quelques-unes de ces dames pour aller présenter nos condoléances à Mavis Hatinger, Birdie.

Cette dernière allait invoquer une excuse, lorsqu'elle surprit le regard du Jésus de papier fixé sur elle.

— Tel est notre devoir de chrétiennes, dit-elle enfin. Crois-tu seulement qu'Austin sera là?

— Ne t'inquiète pas, répondit Happy en redressant fièrement le menton. Nous avons l'autorité maternelle pour nous.

Cette nuit-là, chacun ferma sa porte à Innocence. On chargea les fusils, et on attendit longtemps le sommeil.

 

Le matin venu, la première pensée de tous fut pour Edda Lou.

Chez Darleen Fuller Talbot, la troisième enfant de Happy — et sa première vraie grande déception —, le chagrin avait fini par se muer en apathie. Durant son adolescence, la jeune femme s'était lancée en compagnie d'Edda Lou dans des escapades qui la faisaient encore frémir. Elles étaient parties en stop jusqu'à Greenville, avaient chipé des produits de beauté sur le comptoir de chez Larsson et avaient séché l'école pour aller folâtrer avec les fils Bonny à Spook Hollow.

Elles s'étaient tourmentées de concert lorsqu'elles avaient eu du retard dans leurs règles, s'étaient raconté sans réserve leurs aventures, et s'étaient retrouvées invitées en même temps au Sky View drive-in plus de fois qu'elle n'en pouvait compter. Edda Lou avait été sa demoiselle d'honneur à son mariage avec Junior, et Darleen avait prévu de lui rendre la pareille quand la jeune femme avait enfin mis le grappin sur Tucker Longstreet.

Mais maintenant Edda Lou n'était plus, et les yeux de Darleen étaient gonflés par toute une nuit de sanglots. Il lui était resté juste assez d'énergie pour installer le petit Scooter dans son parc, dire au revoir de la main à son mari sur le pas de la porte, et se traîner ensuite jusqu'à la cuisine pour ouvrir la porte de service à Billy T. Bonny, son amant.

— Oh, voyons, ma chérie.

Billy T., déjà en nage dans son T-shirt de sport et son jean déchiré, prit entre ses bras tatoués la jeune femme aux yeux rougis par les larmes.

— Arrête de te tourmenter, mon petit gâteau en sucre. Je ne peux pas supporter de te voir pleurer.

— Je n'arrive pas à croire qu'elle soit morte.

Tout en reniflant contre l'épaule de son amant, Darleen trouvait quelque réconfort à caresser son derrière.

— C'était ma meilleure, ma plus chère amie, Billy T.

— Je sais.

Il pressa contre sa bouche ses lèvres charnues et avenantes, et lui donna un baiser plein de compassion.

— C'était une fille admirable. Nous la regretterons tous.

— Elle était comme une sœur pour moi.

Darleen se recula pour lui permettre de caresser sa poitrine sous sa chemise de nuit en Nylon.

— Elle était plus chic avec moi que Belle ou Starita.

— Tes sœurs sont jalouses de toi parce que tu es plus mignonne qu'elles.

Il la renversa contre le comptoir de la cuisine tout en lui agaçant les mamelons.

— J'aurais préféré que ce soit l'une d'entre elles plutôt qu'Edda Lou.

Les larmes aux yeux, elle fit descendre la fermeture Eclair du jean de Billy T.

— Ce sont peut-être mes sœurs, mais je pouvais toujours parler avec Edda Lou, tu sais. De tout. Même de nous.

Elle lâcha un soupir tandis qu'il lui retroussait sa chemise de nuit pour lui mordiller la poitrine.

— Elle était toujours heureuse pour moi. Bien sûr, elle a été un peu jalouse quand je me suis mariée avec Junior et que j'ai eu Scooter, mais c'était bien naturel, tu ne trouves pas?

— Mmm.

— J'allais être sa demoiselle d'honneur à son mariage avec Tucker Longstreet.

Elle tira sur son caleçon.

— La manière dont on l'a tuée... c'est à peine si je peux y penser.

— Alors n'y pense pas, mon chou, repartit l'autre d'une voix rauque et haletante. Laisse donc Billy T. te faire oublier tout ça.

Il posa sa main entre les cuisses de la jeune femme.

— C'est ce qu'Edda Lou aurait voulu.

— Oh oui...

Elle s'abandonna avec un soupir aux caresses de son amant. Frémissante, elle repoussa un bol de céréales et s'étendit sur le comptoir.

— Elle aura toujours sa place dans mon cœur, reprit-elle en fermant les doigts sur lui.

Quand elle rouvrit les yeux, elle était rayonnante de tendresse : il avait déjà enfilé un préservatif.

— Tu es si bon avec moi, mon chéri.

Elle le guida en elle et il commença à s'activer.

— C'est tellement plus drôle avec toi qu'avec Junior. Tiens, depuis que nous sommes mariés, nous ne faisons plus ça qu'au lit.

Grandement flatté, Billy T. la maintint par les hanches, tandis que la tête de la jeune femme cognait contre la porte d'un placard ouvert. Darleen, soulevée par le plaisir, ne s'en aperçut même pas.

 

Caroline s'étonnait d'avoir si bien dormi. Peut-être était-ce sa manière à elle de trouver refuge en son esprit, se dit-elle, à moins qu'elle n'eût été tranquillisée par la présence de Susie Truesdale et de sa fille logées dans la chambre d'à côté. Ou peut-être encore se jugeait-elle en sûreté dans le lit de ses grands-parents. Quoi qu'il en fût, elle s'était réveillée dans la lumière du soleil et l'odeur de café et de bacon.

Elle ressentit d'abord de la gêne à être restée ainsi endormie alors que ses invitées préparaient le petit déjeuner. Puis, brusquement, cette réaction lui parut si dérisoire, après l'horreur de la veille, qu'elle fut tentée de se retourner dans son lit pour essayer de retrouver le sommeil.

Elle préféra cependant prendre une longue douche froide et s'habiller.

Le temps qu'elle descendît l'escalier, Susie et Marvella étaient déjà à table en train de se parler à voix basse au-dessus du café et des œufs brouillés.

La ressemblance entre la mère et la fille amena un sourire sur le visage de Caroline. Ces deux ravissantes femmes aux cheveux de marte et aux grands yeux bleus chuchotaient tout bas comme des enfants sur les derniers bancs de l'église durant la messe. Elles avaient toutes deux des lèvres arquées de poupées-mannequins qui se plissèrent en un sourire compatissant quand elle apparut.

Il régnait entre les deux une compréhension et un respect naturel que Caroline n'avait jamais goûtés avec sa propre mère. Remarquant cette intimité, la sentant, la jeune femme fut soulevée par un sentiment de jalousie aussi vif qu'inattendu.

— Nous espérions que vous dormiriez un peu plus longtemps, lui dit Susie, qui se releva aussitôt pour lui servir du café.

— J'ai l'impression d'avoir dormi une semaine entière, répondit Caroline en lui prenant la tasse des mains. Merci. C'est si gentil à vous d'être restées, je...

— Entre voisines, c'est normal. Marvella, mets une assiette pour Caroline.

— Oh, je vous en prie, je...

— Vous devez vous nourrir, répliqua Susie en la faisant asseoir sur une chaise. Quand on a reçu un tel choc, on a besoin de carburant.

— Les œufs de m'man sont super, renchérit Marvella.

Elle servit Caroline tout en s'efforçant de ne pas la dévorer des yeux. Elle mourait d'envie de lui demander qui l'avait coiffée — encore que Bobby Lee lui eût certainement fait toute une histoire en voyant ses longs cheveux bouclés bousillés de la sorte.

— On se sent toujours mieux quand on mange, reprit-elle. La dernière fois que j'ai rompu avec Bobby Lee, m'man et moi, on s'est tapé de gros sundaes au chocolat.

— Il est difficile de rester triste quand on a le ventre rempli de chocolat, approuva Susie en souriant.

Elle posa une assiettée de toasts sur la table.

— J'ai sorti du placard la confiture de mûres sauvages de votre grand-mère. J'espère que cela ne vous dérange pas.

— Non, répondit Caroline en contemplant avec des yeux ébaubis le pot étiqueté à la main. Je n'avais pas remarqué qu'il y en avait à la maison.

— Oh, mais c'est que Mme Edith en faisait tous les ans. Personne n'avait son talent pour les confitures et les gelées. Elle a remporté la médaille du cordon-bleu à la foire durant ces six dernières années d'affilée.

Susie se pencha pour ouvrir le placard du bas.

— Vous en avez ici pour une bonne année de provisions, dit-elle en désignant une rangée de pots.

— Je ne savais pas.

En voyant tous ces jolis pots chatoyants, si soigneusement étiquetés, Caroline sentit le regret et la honte lui étreindre la gorge.

— Je ne pouvais pas venir la voir souvent.

— Elle était si fière de vous. Elle parlait toujours de sa petite Caro, de vos voyages à travers le monde, des récitals que vous donniez devant les rois, les présidents, et j'en passe. Elle montrait à tout le monde les cartes que vous lui envoyiez.

— Il y en avait une qui venait de France, de Paris, intervint Marvella. Avec la tour Eiffel dessus. Mme Edith m'a permis de m'en servir pour un exposé.

— Marvella a appris le français à l'école pendant deux ans, fit remarquer Susie en gratifiant sa fille d'un regard radieux.

Elle avait dû elle-même quitter le lycée quatre mois avant le bac, sa grossesse devenant un peu trop visible. Aussi, que sa fille fût d'ores et déjà en possession de son diplôme de fin d'études secondaires était-il pour elle un constant sujet de ravissement. Elle jeta un coup d'œil à sa montre.

— Chérie, ne devrais-tu pas te préparer à partir?

— Oh, Seigneur! s'exclama Marvella en se levant brusquement de sa chaise. Regardez-moi l'heure qu'il est!

— Marvella travaille comme secrétaire juridique à Rosedale. On lui a dit qu'elle pourrait venir plus tard aujourd'hui, eu égard aux circonstances.

Elle se retourna vers sa fille, qui était en train de se refaire une beauté devant le flanc du grille-pain.

— Va donc prendre ma voiture, chérie. J'appellerai ton père pour qu'il vienne me chercher.

Puis, s'étant levée à son tour pour poser les mains sur les épaules de sa fille :

— Ne prends personne en stop, ajouta-t-elle, même si c'est une connaissance.

— Je ne suis pas idiote.

— Non, admit Susie en lui pinçant le menton, mais tu es ma fille unique. Je veux que tu m'appelles si tu dois rentrer plus tard que 5 heures et demie.

— D'accord.

— Et puis va dire à Bobby Lee que les escapades en voiture jusqu'à Dog Street Road, c'est terminé. Quant à échanger des mots doux, vous le ferez désormais sous le toit familial.

— M'man...

Marvella se mit à rougir de la tête aux pieds.

— Si tu ne le lui dis pas, c'est moi qui le ferai.

Elle embrassa les lèvres boudeuses de la jeune fille.

— Allez, va maintenant.

— Oui, m'man.

Elle se tourna en souriant vers Caroline.

— Ne vous laissez pas faire par elle, mademoiselle Waverly. Autrement, vous êtes perdue.

— Oh, l'effrontée ! s'exclama Susie en gloussant, tandis que la moustiquaire se refermait avec un claquement sec. Enfin, elle tient bien de moi.

— C'est une jeune fille adorable.

— Et aussi entêtée : elle sait ce qu'elle veut. Tenez, le Bobby Lee Fuller, voilà deux bonnes années qu'elle le travaille au corps. Eh bien, je suis prête à parier qu'elle va finir par l'avoir.

Elle eut un sourire mélancolique avant de se saisir de sa tasse de café froid.

— Dès l'instant où j'ai moi-même jeté mon dévolu sur Burke, il n'a plus eu qu'à dire amen. Pareil avec elle. Seulement, comme ils vous paraissent toujours beaucoup plus précoces que vous-même à leur âge, vous vous inquiétez forcément.

Elle considéra l'assiette de Caroline en fronçant les sourcils.

— Vous n'avez rien mangé.

— Je suis désolée.

Caroline s'efforça d'avaler une autre bouchée.

— C'est bizarre, vous savez, mais j'ai beau n'avoir jamais connu cette fille, rien que de repenser à elle, je me sens terrorisée.

Elle repoussa son assiette avec un air contrit.

— Susie, je n'ai pas voulu trop en parler devant Marvella, mais si j'ai bien compris, c'était la troisième victime?

— Depuis février, oui, confirma Susie en hochant la tête. Toutes les trois ont été poignardées.

— Mon Dieu !

— Burke a beau rester discret, je sais très bien que c'était moche, vraiment moche. Comme une sorte de mutilation.

Elle se leva pour débarrasser la table.

— En tant que mère — et femme —, j'en suis toute remuée. Je m'inquiète pour Burke, aussi. Il a assumé toute la responsabilité de cette affaire comme si c'était sa faute en quelque manière. Dieu sait que nul ici ne s'attendait à de tels drames, mais Burke estime qu'il aurait dû être capable d'arrêter cette série noire.

De même, songea Susie, qu'il s'en voulait de ne pas avoir empêché son père de se passer un nœud coulant autour du cou.

Caroline emplit l'évier d'eau savonneuse.

— Pas de suspects ? demanda-t-elle.

— Peut-être, mais il n'en parle pas. Avec Arnette, il semblait soupçonner un vagabond quelconque. Je veux dire que, quand votre ville compte entre huit et neuf cents habitants, vous en arrivez à connaître presque tout le monde. Il paraît tout bonnement impossible que cela puisse être l'un d'entre eux. Puis, Francie a été tuée de la même façon, et les gens ont commencé à se regarder un peu de travers. Pourtant, malgré l'évidence, personne ne voulait croire qu'il aurait pu s'agir de son voisin, ou son ami. Mais maintenant...

— Maintenant, vous devez rechercher le suspect parmi vous.

— Eh oui.

Elle s'empara d'un torchon tandis que Caroline commençait à laver la vaisselle du petit déjeuner.

— Quoique à mon avis nous ayons plus vraisemblablement affaire à un maniaque vivant en cachette dans le marais.

Caroline regarda à travers la vitre en direction des arbres. Ceux-ci lui semblèrent nettement plus proches de la maison qu'auparavant.

— Eh bien, voilà qui est rassurant.

— Je ne veux pas vous effrayer, mais comme vous vivez ici toute seule, à l'écart de la ville, vous devez rester vigilante.

Caroline serra les lèvres.

— J'ai entendu dire que Tucker Longstreet et Edda Lou s'étaient disputés. Qu'elle voulait le contraindre au mariage.

— Du moins essayait-elle, corrigea Susie en achevant d'essuyer une assiette.

Elle s'esclaffa soudain.

— Seigneur, vous ne connaissez pas Tucker, autrement vous ne feriez pas cette mine. L'idée qu'il puisse tuer quelqu'un est tout simplement... eh bien, c'est risible. Et puis, d'abord, cela lui coûterait trop d'efforts physiques et sentimentaux. Et Tucker est déficient dans ces deux domaines.

Caroline repensa à l'expression qu'elle avait surprise sur son visage lorsqu'elle l'avait rencontré près de l'étang. Les sentiments n'y manquaient guère, se dit-elle. Des sentiments inquiétants, même.

— Pourtant...

— Je pense que Burke va devoir aller lui parler, reprit Susie tout en continuant d'essuyer et de ranger la vaisselle. Et ce ne sera pas facile. Ils sont comme des frères, tous les deux. Nous sommes tous allés à l'école ensemble : Tucker, Dwayne — le frère de Tucker—, Burke et moi. Ils étaient tous trois fils de planteurs, encore qu'à cette époque, l'exploitation des Truesdale se trouvant en faillite, il était hors de question d'envoyer Burke dans une école privée. Dwayne, lui, est parti en pension quelque temps, parce que c'était l'aîné et tout, mais comme il n'arrivait pas à rester en place, on l'a renvoyé dans ses foyers. Il a bien été question d'y mettre également Tucker, mais le vieux Beau était si embêté par ce qui était arrivé à son aîné qu'il a gardé Tuck à la maison.

Elle s'interrompit, le sourire aux lèvres, pour contrôler la propreté d'un verre.

— Tucker dit toujours qu'il doit une fière chandelle à Dwayne pour ce coup-là, poursuivit-elle. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il veille sur lui maintenant. C'est un bon gars, le Tuck. Et si vous le connaissiez depuis longtemps comme moi, vous sauriez qu'il est aussi peu capable de tuer que de voler dans les airs. Dieu sait pourtant qu'il a des défauts, mais de là à poignarder une femme !

L'idée, quoique horrible, la fit de nouveau s'esclaffer.

— Pour tout dire, il serait trop occupé à essayer de lui mettre la main à la culotte pour penser à autre chose.

Caroline eut une grimace comique.

— Je connais le genre, dit-elle.

— Croyez-moi, mon chou, vous n'avez jamais connu quelqu'un comme Tucker. Si je n'étais pas une épouse comblée, mère de quatre enfants, j'aurais très bien pu m'enticher de lui, moi aussi. Pour ça, Tucker, il a le truc.

Elle décocha un lourd regard à Caroline.

— Je suis prête à parier qu'il viendra vous renifler la jupe dans pas longtemps.

— Qu'il y vienne, et il s'en retournera avec mon pied quelque part.

Susie se mit à hoqueter de rire.

— Je m'en voudrais de louper ça. Bon, ce n'est pas tout...

Elle rangea la dernière assiette dans le placard.

— ... mais il nous reste encore du pain sur la planche.

— Ah tiens ?

— Je n'aurai pas l'esprit tranquille tant que je ne me serai pas assurée que vous êtes en sûreté ici.

Après s'être séché les mains au torchon à fleurs, Susie traversa la pièce pour récupérer son sac à main. Et en sortit un 38 mm d'aspect redoutable.

A cette vue, Caroline ne put qu'invoquer tout haut le nom du Seigneur.

— Revolver Smith & Wesson à double effet, poursuivit Susie, imperturbable. On l'a mieux en main qu'un automatique.

— Est-ce que... Est-il chargé?

— Mais bien sûr qu'il l'est, mon chou ! répliqua-t-elle, tandis que ses grands yeux bleus papillotaient. A quoi servirait-il autrement? J'ai remporté le concours de tir du 4 Juillet trois années de suite. Burke ne sait trop s'il doit être fier ou gêné de ma supériorité sur lui en la matière.

— Dans votre sac à main, articula faiblement Caroline. Vous le portez dans votre sac à main...

— Depuis février, oui. Avez-vous déjà tiré?

— Non.

Instinctivement, Caroline noua ses mains dans le dos.

— Non, répéta-t-elle.

— Et vous ne vous en croyez pas capable, peut-être? Bon, alors laissez-moi vous dire une chose, mon chou : si jamais quelqu'un en avait après vous ou les vôtres, vous appuieriez toujours assez tôt sur la détente. Maintenant, je sais que votre grand-père a toute une collection d'armes à feu. Allons en chercher une.

Susie reposa le 38 mm sur la table et s'élança hors de la cuisine.

— Susie...

Caroline, abasourdie, s'était hâtée de lui emboîter le pas.

— Susie, je ne me vois pas essayer une arme comme si c'était une nouvelle robe !

— Mais c'est tout aussi passionnant, mon chou.

Ayant pénétré dans le bureau de l'aïeul, Susie contempla d'un air dubitatif les armes accrochées au râtelier.

— Nous allons commencer par une arme de poing, dit-elle, mais il faudra que vous vous entraîniez au chargement de ce fusil. Ça fait toujours son effet.

— Je m'en doute.

Les yeux brillants, Susie referma une main sur le bras de la jeune femme.

— Ecoutez un peu : si jamais quelqu'un vient vous ennuyer, vous sortez avec cette carabine à moineaux et vous pointez l'engin vers les parties de ce salaud en lui disant que le tir et vous ça fait deux. Et s'il ne percute pas immédiatement, vous lui mettez un peu de plomb dans l'aile.

Caroline s'affala sur le bras de la chauffeuse avec un rire crispé.

— Comme vous y allez.

— Par ici, nous nous chargeons nous-mêmes de notre sécurité. Oh, mais, regardez-moi cette splendeur!

Elle ouvrit le râtelier et se saisit d'un revolver.

— Colt 45, modèle de service. Il a dû voir la guerre, celui-là.

Elle en fit basculer le canon avec une maîtrise que Caroline ne put qu'admirer et inspecta le barillet.

— Et propre comme un sou neuf, avec ça.

Refermant le colt, elle le pointa en direction du mur et appuya sur la détente.

— Bien.

Puis elle ouvrit le tiroir sous le râtelier et, avisant les munitions, eut un claquement de langue satisfait. Elle fourra une boîte dans sa poche arrière et se retourna vers Caroline en souriant.

— Allons massacrer quelques canettes, dit-elle.

 

L'agent spécial Matthew Burns n'était pas franchement enthousiaste à l'idée de travailler dans une petite ville pouilleuse du delta. Burns était un citadin pure souche, de ceux qui apprécient les soirées à l'opéra, les bonnes bouteilles de Châteauneuf et les flâneries tranquilles à la National Gallery.

Il avait déjà vu bon nombre d'horreurs en dix ans de service au « Bureau » et, pour s'assainir l'esprit, il n'aimait rien mieux qu'une touche de Mozart ou de Bach. Il avait anticipé avec plaisir le week-end, pour lequel il avait prévu en soirée un ballet suivi d'un dîner raffiné chez Jean-Louis au Watergate, le tout agrémenté sans doute d'un romantique et voluptueux intermède avec sa partenaire du moment.

Et voilà qu'au lieu de cela, il se trouvait en route vers Innocence avec armes et bagages stockés dans le coffre d'une voiture de location dont le système de climatisation se révélait défaillant.

Burns n'ignorait pas que l'affaire risquait fort de provoquer un chambardement médiatique, et qu'il était certainement la personne adéquate pour ce genre de boulot : les meurtres en série étaient sa spécialité et, toute modestie mise à part, il aurait été le premier à reconnaître qu'il était sacrement compétent en la matière.

Mais il n'en était pas moins irrité de se voir ainsi gâcher son week-end. Par ailleurs, le légiste mandé par le Bureau avait été retardé par des tempêtes à Atlanta. Or, non seulement cela contrariait son sens de la discipline, mais il ne faisait aucunement confiance à un coroner de campagne pour pratiquer une autopsie décente.

Son agacement ne fit que croître quand, à demi asphyxié dans son véhicule, il traversa enfin la ville. Ses soupçons se confirmaient : il n'y avait là qu'une poignée de piétons suants, quelques chiens égarés et un amoncellement de devantures poussiéreuses. Même pas de cinéma. Il eut un frémissement involontaire des épaules en apercevant l'enseigne peinte à la main et à moitié décolorée du seul restaurant en vue : le Chat 'N Chew. Il rendit grâce à Dieu d'avoir songé à emmener sa propre cafetière Krups.

Enfin, le boulot était le boulot, se dit-il en se garant devant le bureau du shérif. Et il arrivait parfois que quelqu'un dût souffrir pour que justice fût faite. Ne prenant que sa mallette, il referma soigneusement sa voiture tout en essayant de ne pas succomber sous la chaleur.

Nuisance, le chien de Jed Larsson, choisit ce moment pour venir lever la patte contre le pneu avant. Burns hocha seulement la tête avec lassitude, ne doutant pas un seul instant que les bipèdes du cru fussent également des rustres.

— Jolie voiture, lança Claude Bonny depuis son poste d'observation en face de la pension.

Il cracha dans son seau.

Burns haussa un de ses sourcils noirs.

— C'est un véhicule de service, dit-il.

— Tu vends quelque chose, fils ?

— Non.

Bonny échangea des regards avec Charlie O'Hara et Pete Koons. O'Hara émit deux-trois expirations sifflantes, puis plissa les yeux.

— Tu dois être cet agent du FBI venu du Nord, alors.

— Oui.

Burns sentait de la sueur lui couler le long du dos. Il pria le ciel que la ville disposât au moins d'une laverie à sec convenablement équipée.

— Tiens, reprit Koons, ça me rappelle cette émission avec Efrem Zimbalist. Je la regardais chaque semaine.

Il s'interrompit pour aspirer sa limonade.

— Ça, c'était une bonne émission.

Dragnet était mieux, intervint Bonny. Comprends pas pourquoi ils l'ont supprimée. Des émissions comme ça, on n'en fait plus.

— Si vous voulez bien m'excuser..., déclara Burns.

— Va donc, fils, l'encouragea Bonny avec un geste de la main. Le shérif est à l'intérieur. L'est resté là toute la matinée. Attrape-nous donc ce maniaque qui tue nos filles, et on se chargera de le pendre.

— Vraiment, je ne...

— N'est-ce pas ce type de Dragnet qui est devenu docteur dans Mashl s'interrogea soudain O'Hara. Il me semble bien me le rappeler.

— Jack Webb n'a jamais joué de docteur, trancha Bonny, prenant la chose comme une offense personnelle.

— Non, je te parle de l'autre, là. Le petit. Ma légitime a failli s'attraper une hernie en regardant cette émission.

— Doux Jésus ! s'exclama Burns en aparté avant de pousser la porte du poste.

Burke était assis à son bureau, le combiné du téléphone coincé entre l'épaule et l'oreille, en train de griffonner furieusement sur son calepin réglementaire.

— Oui, monsieur, dès qu'il sera là, je...

Ayant levé la tête, il identifia Burns aussi rapidement qu'il eût distingué une caille d'un faisan.

— Un instant. Vous êtes l'agent spécial Burns?

— Tout à fait.

Respectueux de la procédure, Burns sortit sa carte pour la présenter à Burke.

— Il vient juste d'entrer, poursuivit Burke au téléphone.

Puis, tendant l'appareil à Burns :

— C'est votre patron, dit-il.

Burns posa sa mallette et prit le combiné.

— Chef Hardley?... Oui, monsieur, j'ai légèrement outrepassé le temps estimé pour mon trajet. J'ai eu un problème avec la voiture à Greenville... Oui, monsieur. Le Dr Rubenstein devrait arriver avant 3 heures... Je n'y manquerai pas. A ce propos, je suggérerais l'installation d'un deuxième téléphone, cette ligne se trouvant être unique, ainsi que...

Il posa une main sur le combiné.

— Avez-vous un fax?

Burke faillit en sourire.

— Non, monsieur, je n'en ai pas.

— Ainsi que celle d'un fax, reprit Burns à l'adresse de son chef. Je vous rappellerai dès que j'aurai effectué les premières démarches et procédé à mon installation... Oui, monsieur.

Il rendit le téléphone à Burke et inspecta la chaise pivotante avant de s'y asseoir.

— Bon, à nous deux maintenant. Vous devez être le shérif...

— Truesdale. Burke Truesdale.

Ils échangèrent une poignée de main d'une brièveté tout officielle. Burke perçut une odeur fugace de talc pour bébé.

— Nous sommes dans un sale pétrin, agent Burns.

— On me l'a appris. Trois mutilations en quatre mois et demi. Et pas de suspects.

— Pas un seul, admit Burke, qui se retint à temps de présenter ses excuses. Nous avons pensé à un vagabond, mais, au vu du dernier meurtre... Et puis il y a eu ce cas à Nashville.

Burns joignit les mains.

— Vous avez des dossiers, je suppose.

— Ouais, répondit Burke en faisant mine de se lever.

— Plus tard. Pour l'instant, nous nous contenterons de la voie orale. Je désirerais voir le corps.

— Nous l'avons porté aux pompes funèbres.

— Comme il se doit, repartit Burns sèchement. Nous irons y jeter un coup d'œil puis nous nous rendrons sur le lieu du crime. Vous l'avez mis sous scellés?

Burke sentit croître son irritation.

— Plutôt difficile de mettre un marais sous scellés.

Burns se leva en laissant échapper un soupir.

— J'aurais dû m'en douter.

 

Caroline, qui se trouvait derrière la maison, prit une profonde inspiration, serra les dents et appuya sur la détente. Le recul fit bondir son bras et résonner ses tympans. Elle avait touché une canette — quoique ce ne fût pas celle qu'elle avait visée.

— Tu commences à y arriver, lui dit Susie. Mais tu dois garder les yeux ouverts pendant toute l'opération.

Elle lui en fit la démonstration. Trois canettes volèrent en rafale de la souche.

— Et si je me contentais de leur lancer des pierres? suggéra la jeune femme tandis que Susie partait remettre les cibles en place.

— As-tu joué une symphonie sitôt que tu as eu ton archet en main?

Caroline remua son épaule en gémissant.

— Est-ce ainsi que tu amènes tes enfants à faire ce que tu veux?

— Absolument, répondit Susie.

Elle revint se placer à son côté.

— Bon, maintenant, détends-toi et prends ton temps. Tu sens bien le revolver dans ta main ?

— En fait, ce que je sens est plutôt...

Elle gloussa, le regard baissé vers l'arme.

— Sensuel, c'est ça?

Susie lui tapota l'épaule.

— Ne t'inquiète pas, on est entre nous. Mais le fait est que juste là, au bout de ton bras, tu as la puissance, la maîtrise des événements et le contrôle de la situation. Exactement comme en amour.

Elle eut un grand sourire.

— Mais ce n'est pas ce genre de choses que je raconte à mes enfants. Vas-y maintenant, vise-moi la première canette à gauche. Fais-moi un carton là-dessus. Tu n'as pas d'ex-mari ?

— Non, très peu pour moi.

Susie laissa échapper un petit rugissement hilare.

— Un ex-petit ami, alors? Un qui t'en a fait voir de toutes les couleurs ?

— Luis, lâcha Caroline entre ses dents.

— Mazette ! Un Espagnol, dans ce genre-là ?

— Dans ce genre-là, oui.

Elle serra les mâchoires.

— Ce n'était rien qu'un sale rat gominé, reprit-elle en appuyant sur la détente.

Elle regarda, bouche bée, la canette voler en l'air.

— Je l'ai eue !

— Fallait juste un mobile. Essaie la suivante.

— Et si vous vous mettiez plutôt au crochet, mesdames? lança Burke.

Susie abaissa le revolver de Caroline en souriant.

— Tu vas avoir un adversaire de plus pour le prochain 4 Juillet, mon chéri.

Elle dévisagea rapidement son mari avant de se lever sur la pointe des pieds pour l'embrasser.

— Tu as l'air fatigué.

— Je suis fatigué, corrigea-t-il en lui pressant la main. Agent Burns, je vous présente ma femme, Susie, et Caroline Waverly. C'est Mlle Waverly qui a découvert le corps, hier.

— Caroline Waverly, répéta Burns sur un ton extatique. J'ai du mal à y croire.

Il prit les doigts de la jeune femme pour lui faire un baisemain. Dans son dos, Susie se mit à rouler des yeux à l'adresse de Burke.

— Je vous ai entendue jouer il y a quelques mois à peine, à New York. Ainsi que l'année dernière au Kennedy Center. Je possède plusieurs de vos enregistrements.

Caroline cligna un instant des yeux, perplexe. Tout cela lui semblait si loin, désormais, qu'elle songea un instant qu'il se trompait de personne.

— Merci, dit-elle enfin.

— Non, c'est moi qui vous remercie.

Burns commençait à penser que cette affaire n'avait pas que de mauvais côtés.

— Je ne puis vous dire combien de fois vous m'avez rendu goût à la vie rien qu'en me permettant de vous entendre jouer.

Son visage glabre était rouge d'excitation. Sa main n'avait toujours pas lâché celle de la jeune femme.

— Voilà qui est, eh bien, délicieux, reprit-il. En dépit des circonstances. Je dois dire que c'est bien le dernier endroit où je me serais attendu à trouver la princesse des salles de concert.

Caroline sentit une légère anxiété se loger au creux de son estomac.

— Cette maison est celle de ma grand-mère, agent Burns. Je n'y suis que depuis quelques jours.

Les yeux bleu pâle de l'enquêteur se voilèrent de commisération.

— Ce doit être une terrible épreuve pour vous. Soyez assurée que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour résoudre rapidement cette affaire.

Prenant soin d'éviter le regard de Susie, Caroline réussit à ébaucher un faible sourire.

— Vous m'en voyez soulagée.

— Tout ce qui est en mon pouvoir, je le répète. Absolument tout.

Il ramassa la panoplie d'investigation qu'il avait déposée à ses pieds.

— Rendons-nous sur les lieux, shérif.

Burke l'invita du geste à le suivre. Remarquant ses étincelants mocassins italiens, il fit un clin d'œil à sa femme.

— Plutôt mignon, estima Susie tandis que les deux hommes se dirigeaient vers le sous-bois. Si du moins on aime le genre costard-cravate.

— Fort heureusement, je ne cours après aucun genre en ce moment.

— Qui sait?

Susie s'était mise à secouer le haut de sa robe pour se donner un peu d'air.

— Et si je te montrais comment nettoyer ton arme? Après, nous préparerons des rafraîchissements pour les hommes.

Elle regarda soudain Caroline d'un air intrigué.

— Je ne savais pas que tu étais vraiment célèbre et tout. Je croyais que Mme Edith se vantait.

— Nul n'est prophète en son pays.

— Certes.

Susie se retourna vers la maison. Ayant conçu un certain attachement pour la jeune femme — et aussi parce qu'il lui semblait que Caroline avait impérieusement besoin de sourire un peu —, elle lui passa un bras autour des épaules en lui demandant :

— Tu peux me jouer Orange Blossom Spécial ?

Caroline partit d'un grand éclat de rire, son premier vrai rire depuis des jours.

— Volontiers, répondit-elle.

 

 

 

Coupable Innocence
titlepage.xhtml
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_000.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_001.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_002.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_003.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_004.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_005.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_006.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_007.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_008.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_009.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_010.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_011.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_012.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_013.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_014.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_015.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_016.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_017.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_018.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_019.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_020.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_021.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_022.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_023.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_024.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_025.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_026.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_027.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_028.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_029.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_030.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_031.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_032.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_033.htm
Coupable Innocence - Nora Roberts_split_034.htm